Hephaistos

  • il y a 10 ans
PRÉCISION QUANT À LA GENÈSE DE L’IDÉE abstraite dans la pensée de la plante malade, assoiffée d’éclosion et de lumière qu’est Platon, le fondateur de notre tradition de notre rapport au monde. Après avoir été aveuglé par le soleil – en punition de son aspiration démesurée (hubris) à la lumière –, Platon se trouve plongé dans une situation de crise : dans l’obscurité qu’il abhorre.

Mais, loin de se raviser, il continue à croire mordicus que son salut se trouve dans la clarté de la vue. Au lieu de s’ouvrir aux autres sens – qui lui permettraient de regagner l’équilibre perdu au sein du mystérieux va-et-vient des phénomènes –, il redouble au contraire l’intensité de sa quête de lumière et de stabilité. C’est ainsi qu’il en vient à « invoquer et déployer des forces inimaginables, surpuissantes ».

Mots à prendre à la lettre : pour parer son handicap, Platon invoque un dieu, – comme on le fait à l’époque, quand on est dans une situation inextricable. Et pas n’importe quel dieu : Héphaïstos, le dieu forgeron, qui maîtrise la lumière à son stade suprême et le plus dangereux, celui du feu.

Pourquoi Héphaïstos ? Parce que, en tant que maître du feu, il est klutotechnès, c’est-à-dire renommé pour sa… technè : son savoir-faire, sa divine raison ou vue de l’esprit, qui lui permet d’accomplir de produire ses œuvres de forgeron.

Dépossédé qu’il est de la vue sensible, refusant de croire aux autres sens, Platon se réfugie dans la vue de l’esprit. C’est sur elle qu’il mise dès lors pour poursuivre sa vie et sa quête de clarté et de sécurité. Et, par miracle – allez savoir pourquoi, selon quel étrange dessein (tant cet instant est lourd de conséquences, pour toute la tradition…) –, Héphaïstos lui accorde sa divine vue productrice, son divin savoir-faire.

Et voilà que la pensée de Platon devient surpuissante. Doublée qu’elle est de celle du dieu, sa raison devient hypertrophique. Au point qu’elle lui permet de faire abstraction de ce qui est sensible et de « vivre et de contempler » en toute quiétude les phénomènes tels qu’il les a toujours souhaités : en leur complet dévoilement, en leur aspect pleinement manifeste, en leur visage éidétique, en leur eidos, en leur idée.

Vie contemplative d’un monde idéal, qui est à vrai dire le résultat d’une production artistique. C’est en effet en artiste que Platon sort de son impasse : soutenu qu’il est par la technè d’Héphaïstos, c’est en artiste qu’il produit, dans sa tête, les idées abstraites, arrachées de tout sol. Comment ? En reprenant et mettant en évidence (mimèsis), dans sa pensée abstraite, dans son imagination qui tourne à vide, le souvenir de l’aspect pleinement visible, complètement ouvert, des phénomènes à leur stade d’éclosion suprême.

Voilà comment s’est joué le « saut » du sensible au suprasensible, du physique au métaphysique. Saut idéaliste qui fait de nous tous des métaphysiciens sans le savoir, aveuglément guidés par des idées arrachées de toute expérience, équilibre et harmonie de vie.